Sunday, September 16, 2007
C’est pour cela que, du point de vue de la procédure d’approche de la question de la participation au développement national, j’ai souhaité que ce forum se limite tout d’abord à la question de la guérison de la communauté ethnique. Ce n’est que dans un second moment, dans un autre forum ad hoc, que nous consacrerions notre réflexion au problème de la contribution de notre communauté ethnique à la santé de la communauté nationale. A supposer que cette contribution ne soit pas désirée ou qu’elle ne soit pas appréciée à sa juste valeur, cela n’empêche tout de même pas la communauté de consolider sa cohésion interne. Celle-ci ne dépend point du consentement de la communauté nationale.Dans l’analyse des causes du drame de notre communauté, j’ai épinglé sa religiosité mal éclairée et mal gérée. C’est pour cela que je l’ai traitée d’épidermique. J’estime que nous ne pouvons pas passer sous silence, ni minimiser cet élément très important de la vie de la communauté. Si je ne m’abuse, à l’heure actuelle tous les Banyamulenge sont quasiment chrétiens ou supposés tels. Nous n’avons, ni musulmans, ni athées déclarés, ni païens encore connus. Les quelques libres penseurs isolés se couvrent encore du manteau religieux de la communauté. Cela ne fait que aggraver notre responsabilité dans le mal qui nous afflige tous. La dichotomie que fait éclater notre double vie ne doit que nous inciter à corriger le tir.Dieu Est Amour: celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui20. Et le pape Benoît XVI vient de nous le rappeler dans sa toute première Lettre Encyclique21. Noue ne serons des chrétiens authentiques que dans la mesure où nous saurons répandre le parfum de l’amour entre nous et autour de nous, le bonus odor Christi22 symbolisé par l’huile chrismale que reçoivent les néophytes catholiques le jour de leur baptême et de leur confirmation, ainsi que le jour des ordinations sacerdotale et épiscopale, pour ceux d’entre eux qui sont appelés au sacerdoce ministériel.Tout comme le reste de la communauté demeuré sur le territoire national, la diaspora, surtout la partie située au pays des mille collines, a développé une grande créativité dans le domaine religieux. Tout Kigali regorge de lieux de culte dirigés par un nombreux collège de pasteurs. Les petits minibus et les taxis qui relient Kigali à ses alentours, ainsi qu’à toutes les villes du pays, vibrent au rythme de la musique religieuse des compositeurs ou chorales banyamulenge, hommes et femmes, garçons et filles. L’activité religieuse de cette communauté est devenue un véritable business. La chaleur humaine et la joie qui se dégagent dans les lieux de culte envoutent des foules chrétiennes, surtout des jeunes, de tous les horizons sociaux. Les communautés de Restauration Church (RC) et de Zion Temple (ZT) ont déjà débordé les frontières locales pour animer et emballer des auditoires extranationaux et ultraterritoriaux. Déjà en 1995, la communauté d’EBENEZER, sponsorisée par Joseph Mutambo Jondwe, avait organisé un culte de trois jours à Minembwe qui rassembla plus de 35.000 personnes. Cela démontre qu’il y a des Banyamulenge qui savent organiser, prêcher, convaincre, entraîner, prier et faire prier. Et cela se retouve dans la plupart des communautés des hauts plateaux d’Itombwe.Mais, cela pousse à se poser une légitime question sur la signification de ces émotions populaires, si elles n’aboutissent pas à se transformer en amour fraternel. Pour paraphraser la Lettre Encyclique de Benît XVI, il faut que l’eros atteigne le niveau de la caritas et de l’agapè. Même là, on a le droit de se poser des questions sur la qualité d’un amour sélectif et discriminatoire. A quoi servent ces éloquences, ces animations, cette chaleur et cette force d’entraînement, si elles ne n’aboutissent pas à la charité et à l’amour du prochain, de tout prochain et de tous les prochains ? Il me revient à l’esprit la péricope paulinienne sur l’hymne à la charité23.Si j’ai semblé pointer du doigt les communautés protestantes, ce n’est pas pour les accabler unilatéralement et innocenter la communauté catholique. Loin de là! J’ai tout simplement voulu dire que vu le nombre de leurs membres et leur impact social dans notre milieu, elles y ont une plus grande part de responsabilité. La communauté catho-lique a aussi ses enfants terribles, ses roublards et ses perturbateurs de la paix. Elle compte un bon nombre de crises internes, mais qui finissent par se résoudre dans le sens de la réconciliation et de la communion et non du déchirement et de la scission.Somme toute, pour retourner à notre sujet, la réconciliation réalisée, l’unité et la paix rétablies, on pourrait alors s’attaquer aux cruciaux problèmes du développement de notre milieu que je schématise en quelques cinq points essentiels.a. l’éducation et la formationComme je l’ai signalé plus haut, le premier ennemi à combattre, c’est l’igno-rance. Les armes de ce combat sont l’éducation et la formation, bref, la scolarisation massive et systématique de la jeunesse. Mais, le mauvais état des écoles de notre terroir ne peut jamais permettre une bonne éducation de nos petits frères et soeurs. Cela justifie leur continuelle émigration vers les milieux pourvus de meilleures infrastructures scolaires, notamment au Rwanda, raison de plus pour ménager ce pays dans les critiques et dénonciations.Mais, qui va éradiquer ce mal de notre terroir? Ce serait illusoire et utopique de compter toujours sur les gestes sporadiques et occasionnels de bons samaritains tombant du ciel comme la manne, pour résoudre tous nos problèmes et à notre place. Si nous ne prenons pas les risques nécessaires pour affronter les questions brûlantes de notre milieu, endiguer l’hémorragie de l’exode rural et juvénil qui le dépeuple systématiquement, mettons fin alors à la rengaine de son développement. Cessons de rêver et de tromper l’opinion, tant tribale que publique par des discours creux sur le développement. Si nous ne pouvons pas nous montrer généreux et solidaires envers notre propre milieu, de quel droit pouvons-nous exiger cela des autres? Pour affronter efficacement ce grave problème, nous pourrions monter une chaine de récolte des moyes matériels et des fonds pour la réhabilitation de certaines écoles qui n’existent plus que de nom24.b. le secteur médicalLe second ennemi à abattre, c’est le collectif plétaurique des maladies qui affligent notre population. Les gens n’en peuvent plus! Ils sont littéralement épuisés, exténués! Ils sont devenus squelettiques! Et ceux qui peuvent encore se permettre de se faire soigner, doivent se rendre à l’étranger, au Burundi ou au Rwanda, au prix de mille sacrifices économiques, à travers une multitude de dangers. Pour pouvoir faire soigner un seul de leurs members, les familles se privent du strict nécessaire pour leur précaire survie, au risque de se paupériser à l’extrême. Actuellement, parmi les calamités qui ravagent notre societé, il y a le SIDA et les maladies sexuellement transmissibles. Couvertes du manteau de la fausse pudeur qu’entretiennent les communautés religieuses du milieu, ces maladies sont en train de décimer littéralement notre communauté. La présence massive et permanente des forces combattantes propage encore davantage ces maladies, au grand dam de la communauté. La promiscuité dans les camps des réfugiés et des déplacés met le comble à la désolation. Ici encore, l’ignorance continue d’endormir nos frères et soeurs dans la mort. C’est ici qu’il conviendrait de dire que la culture tradition-nelle et la religion non éclairée sont l’opium du peuple.Pour mener ce combat à bonne fin, une certaine organisation s’impose. Cela est impossible sans un certain niveau de générosité, de véritable solidarité et de franche collaboration. L’union fait la force, dit-on. On pourrait ajouter que la division fait la faiblesse. Pour combattre ce mal, on doit dépasser le niveau et le comportement individualiste, l’esprit sectaire et compétitif, de travail en vase clos ou en ordre dispersé, bannir la mentalité de réussir sans ou contre les autres. Dans ce domaine bien précis, la compétition doit le céder à la collaboration. Ce n’est qu’à ces conditions que nous pouvons chercher ensemble les voies et moyens de venir en aide à nos populations, tant dans le domaine de la création des infrastructures médicales valables que dans celui des équipements médicaux appropriés.c. l’équilibre alimentaireLe troisième problème à résoudre, c’est celui de la sécurité alimentaire. Notre milieu d’origine est essentiellement agro-pastoral. Selon les différentes altitudes, tout pourrait y pousser. On peut y développer tous les genres d’élevage. Et pourtant, c’est l’un des milieux qui souffrent davantage de la sous alimentation25. Pour une population composée uniquement de bouviers et de cultivateurs, il y a une flagrante carence de personnel et de produits vétérinaries, ainsi que d’agronomes. Dans ce milieu, il faudrait une bonne école, ne fût-ce que du niveau secondaire, avec deux secrions: la vétérinaire et l’agronomique. Dans ce secteur spécifique, la question de l’eau potable, saine et courante doit se poser avec précision, lucidité et détermination.Il me plait de relever les mérites de certains d’entre nous, comme Monsieur Manassé Ruhimbika ici présent et son équipe du GROUPE MILIMA, Naum Butoto et son équipe de l’UGEAFI, Gilbert Mututsi et Tharcisse Kayira Bisenga, Lazare Sebitereko et ses collaborateurs du d’EBENEZER, ainsi que les modestes initiatives du pasteur Tharcisse Gakunzi, etc. Tous ces frères, chacun à leur manière et selon leurs moyens, sont en train de lutter pour assurer une vie plus digne à notre population. On pourrait sans doute avoir à redire sur leurs initiatives, mais on ne peut honnêtement pas ignorer leurs méritoires bienfaits.d. l’infrastructure routière et l’énergie motriceLe quatrième problème qui semble se poser avec acuité, c’est celui du désenclavement des hauts plateaux par la création des pistes carrossables ou routes de desserte agricole, et celui de la carence de l’énergie pour résoudre le problème du moulage du maïs, une véritable croix du monde féminin. Ne pourrait-on pas envisager l’installation de petites turbines électrogènes sur quelques rivières qui présentent des débits suffisamment rapides, les multiples cascades qui dévalent de nos montagnes pour aller arroser la plaine de la Rusizi ou grossir les rivières de la cuvette congolaise, ou encore recourir à l’énergie solaire? Cela libérerait les femmes et filles de cette éternelle corvée, pour leur permettre de mieux se préparer à affronter les problèmes de la vie ménagère et de s’insersion dans le circuit de la formation professionnelle.e. la défense des faibles et des déshéritésLe cinquième problème qui devrait retenir notre attention, c’est celui de la précaire et par trop délicate situation de tant de veuves, parfois très jeunes encore, et de tant d’orphelins que la guerre et ses consequences ont créés. Dans la Sainte Ecriture, parmi les catégories sociales qui ont toujours retenu l’attention de Dieu, il y a ces deux que je viens de citer26. A cela s’ajoute le contingent de vieilles et vieillards qui sont livrés à la merci de l’indigence. Ces trois catégories sociales constituent des cas spéciaux qui mériteraient notre particulière attention.La résolution de tous ces problèmes exige une concertation, une coopération, c’est-à-dire une conjugaison des efforts dans la recherche des voies et moyens nécessaires. Qu’est-ce qui nous empêcherait, par exemple, de créer une fondation, une association qui concentre et galvanise nos efforts dans ce sens? Ne pourrions-nous pas envisager de créer une caisse de solidarité exclusivement dédiée à la bienfaisance? Aide-toi et le ciel t’aidera! Je suis persuadé que nous ne manquerions pas de personnes, tant morales que physiques, de groupes ou d’organismes, disposés à nous tendre la main.Nous sommes tellement bien placés et représentés en Occident (Europe, Etats-Unis et Canada) que nous pourrions nous permettre de tenter l’expérience. Et l’initiative ne pourrait que nous unir davantage. Du jet d’une seule pierre, nous ferions deux coups salutaires.ConclusionDès le début de mon discours, je me suis affiché comme accusateur de mon peuple. Par là, j’ai voulu stigmatiser le mal qui l’afflige et souligner notre responsabilité collective dans les souffrances qui n’épargnent personne parmi nous. J’ai voulu éviter un discours hypocrite, adulateur et mensonger qui consisterait à accuser les autres groupes ethniques voisins et innocenter le nôtre, comme s’il était immaculé. Dans une tentative d’autocritique, j’ai voulu éviter le jeu de cache-cache, du faux-fuyant et de la tricherie, au risque de paraître alarmiste.Il n’est nullement agréable de s’entendre ou de se voir mettre à nu et au pied du mur. Il a fallu ce procédé chirurgical, pour vous inciter à affronter avec réalisme et détermination le problème que nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer. Il n’y a pas que l’insécurité physique qui est à base de la déstabilisation de notre peuple. Parfois j’ai employé des accents trop aigus, des termes crus et forts qui vous auront sans doute choqués. C’est à dessein que je l’ai fait; j’ai voulu être un provocateur bien plus qu’un accusateur. Et si je vous avais réellement choqués, je me sentirais l’homme le plus heureux du monde, puisque j’aurais atteint mon objectif. Pour terminer, je vous propose de méditer profondément sur ces versets bibliques et d’en faire vôtres.AMOUR ET VERITE SE RENCONTRENT,JUSTICE ET PAIX S’EMBRASSENT27LE FRUIT DE LA JUSTICE SERA LA PAIX28QUI SEME LE VENT, MOISSONNE LA TEMPÊTE29Merci de votre aimable attention. Pax vobis!30Louvain-La-Neuve, le 25.02.2006+ Jérôme Gapangwa NteziryayoEvêque émérite d’Uvira
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